LES CARRIERES DE
MICHERY

La carrière est située sur la colline à environ 2 km du village au-dessus de la route de Chalopin, au lieu-dit « le Tartre Blanc » où passe la « voie romaine », dans un banc de craie sénonaise, caractérisée par sa blancheur remarquable et sa pureté.

SCIENCE
Formation de la craie

La craie est une roche calcaire qui trouve son origine dans l’accumulation de très nombreux débris de « coquilles » (tests) d’algues unicellulaires ayant sédimenté en milieu marin à l’ère secondaire au Crétacé supérieur.. Ces algues, appelée coccolithophoridés, font partie du groupe des foraminifères. Elles vivent dans les lagunes où l’eau est peu profonde et chaude. Leur test est formé d’un assemblage de plaques, appelées coccolithes, qui sont constituées de calcite. Pour fabriquer ces plaques, elles utilisent le calcium dissout dans l’eau et les ions hydrogénocarbonate Coccolithophoridé avec ses plaques de calcite Cristal de calcite. Lorsqu’elles meurent,  leurs tests s’accumulent sur le fond marin et forment des boues carbonatées. Avec le temps, ces débris se compactent et s’assemblent dans un ciment de calcite. 


Craie observée au microscope à balayage : Un peu noduleuse, la craie de Michery est fine et contient des silex disséminés. Elle présente de nombreux fossiles marins dont les deux principaux sont des oursins appelés « ananchites ovata » et les « bélemnites mucronatus » en forme de cigare. D’épaisseur variable (plusieurs centaines de mètres), la craie est composée d’élément accolés les uns aux autres, sans liaison chimique. C’est une roche poreuse, fissurée et perméable comme le sable. Elle peut être saturée en eau jusqu’à une hauteur de 80 m. elle est friable, mais présente néanmoins différents niveaux de dureté qui la rendent plus ou moins sensible à l’érosion et à la dissolution par l’eau de mer ou de pluie. Contrairement à des calcaires plus durs, LA CRAIE EST UNE ROCHE RARE SUR L’ENSEMBLE DE LA PLANETE.

HISTOIRE DES CARRIÈRES 

Il est difficile de dire à quand remonte l’exploitation de la craie à Michery. Néanmoins, elle est assurément très ancienne, comme l’atteste la construction de l’église Saint-Laurent dont les voûtes sont en craie. Mais on a tout lieu de penser que la craie extraite de nos carrières a été exploitée bien avant le Moyen-âge. Les inscriptions les plus anciennes que l’on ait trouvées dans les carrières datent de 1780, 1781 et 1784. On peut également relever un certain nombre d’inscriptions gravées par les carriers, en particulier au XIX° siècle, Une autre inscription témoigne qu’un gigantesque effondrement, véritable cataclysme dont les grondements ont été perçus jusqu’à Sens et Thorigny-sur-Oreuse, s’est produit le 2 juillet 1807, ce qui a donné un aspect très chaotique aux terrains compris entre la route menant à Chalopin et la falaise restante. Mais aucune victime n’a été à déplorer.

L’EXPLOITATION DE LA CRAIE - TECHNIQUE UTILISÉE 
Les carrières 
souterraines étaient exploitées en gradins. Entamant le front de taille dans des positions inconfortables, les carriers découpaient et retiraient les blocs de craies par couches de 20 cm. Au fur et à mesure, on abattait les bancs de craie inférieurs,donnant au front de taille l’aspect d’un escalier géant. 

Les moellons ainsi 


découpés étaient ensuite entreposés pour sécher. Ils devaient en effet passer un long moment à l’abri de l’eau car la craie extraite du sous-sol contient environ 20% d’eau. Pour les faire sécher, on empilait les blocs en tas sur des rondins de bois afin d’éviter les remontées d‘eau et on les abritait de la pluie par des bâches ou des tôles.

CONDITIONS DE TRAVAIL ET VIE DES CARRIERS

Selon Andrée Mignardot qui a écrit un livre retraçant l’histoire de Michery, « les carriers travaillent surtout l’hiver, morte-saison pour les manouvriers. Partis très tôt le matin pour la journée, ils descendent par des puits étroits sur les parois desquels des marches ont été taillées et ils s’enfoncent dans les galeries profondes. Ils débitent dans la masse des blocs de craie et façonnent des moellons avec leur « riflard ». Ce travail ne manque pas de produire une abondante poussière blanche que les carriers appellent le « repou ». Au printemps, tous les moellons façonnés sont remontés à l’air libre à l’aide d’un treuil. Les carriers vendent leur production aux maçons du village ainsi qu’à ceux des villages voisins et de Sens.» Pour mieux comprendre le travail de ces carriers, il faut imaginer la vie sous terre, en hiver, de l’aube au crépuscule, dans l’obscurité, au froid et à l’humidité, avec pour seul éclairage de minuscules lampes à huile, à pétrole ou plus tard à acétylène posées dans de petites niches aménagées dans les parois : un travail harassant, malsain et dangereux. « Les moellons de craie sont acheminés dans une voiture gerbière, délicatement posés sur un lit de paille. Les prix varient selon la qualité : Craie prise à la carrière, 8 francs le cent moellons de craie, 2 francs le m³ 

Craie débitée à la scie,12 francs le cent moellons de craie taillée, 3,12 francs le m2
Payés « à la pièce » au nombre de moellons taillés, les ouvriers carriers gagnaient à la fin du XIX° siècle entre 2,50 et 3,50 francs par jour, alors qu’un ouvrier menuisier gagnait entre 4 et 5 francs et qu’un kilo de pain coûtait 35 centimes. »

Leur espérance de vie dépassait rarement 40 ans. La reconnaissance des maladies professionnelles n’existant pas à l’époque, rares furent ceux qui terminèrent leur vie sans être atteints de cécité, de rhumatismes articulaires ou de maladies respiratoires.

Niche pour lampe

Quatre carriers étaient répertoriés à Michery en 1901. Beaucoup de carriers ont gravé leur nom sur les parois.


VISITE DES CARRIERES 

Il existait encore en 1935, près de la première entrée, la coupe d’un silo de l’époque gallo-romaine. En 1835, il y en avait 4. Ils ont été détruits par les exploitants des carrières. Ces silos avaient la forme d’un œuf de 5 à 6 m de long sur 3 à 4 m de large. Leurs parois n’étaient jamais humides grâce à l’effet de grands feux allumés à l’intérieur qui calcinaient la craie. Ces silos proches de la « voie romaine » servaient de réserves à grains aux Romains.  Elle est constituée d’un ensemble de salles et de galeries dans lesquelles on pouvait circuler en voiture et en camion à plus d’un kilomètre sous la montagne. 

Trois grandes salles d’une superficie d’environ 350 m², voire plus, soutenues par des piliers massifs destinés à prévenir la chute de la voûte, sont reliées par un enchevêtrement de galeries.  Quelques galeries de recherche en forme de petit ovoïde permettent de joindre deux quartiers.


Porte renforcée
Les galeries possèdent de multiples puits et cheminées d’aération qui permettaient de renouveler l’air à l’intérieur de la carrière.
Puits d’aération Cheminée d’aération Une des sorties

LA CHAMPIGNONNIERE

La culture des champignons de couche ou champignons de Paris a débuté en France vers 1630 à Paris.
L’exploitation des champignons à Michery s’est déroulée en deux temps de 1946 à 1988 environ.
1ère exploitation par Marchand, Farigoule et Savary

Les ouvriers devant la champignonnière

Ils installèrent 12 000 toises de couche (la toise équivaut à 1m96). Les conditions des carrières étaient parfaites, avec une température naturelle de 12 à 14° et un degré hydrométrique de 68%.

Lors de cette 1ère exploitation, les champignons étaient cultivés sur des couches formées de craie broyée recouverte de fumier de cheval chaud. On semait le mycélium et on recouvrait d’une petite couche de poussière de craie, puis on arrosait. On creusa d’ailleurs à l’intérieur un puits de 89 m environ. L’eau était remontée à l’aide d’une pompe actionnée par un moteur. Il existait également au-dessus des carrières une réserve d’eau qu’il était possible de remplir à l’aide d’un camion citerne quand le puits était tari.

Puits de 89m
Les champignons étaient
cueillis une quinzaine de jours plus tard et vendus à Michery et sur
les marchés de Sens, Bray et Auxerre. Le prix de revient d’un kilo
de champignons était de 180 à 200 francs, et le prix de vente de
220 à 240 francs.

Le personnel comptait 10
ouvriers spécialisés et 5 manœuvres.

Ce type de culture s’est
arrêté dans les années 1964.

2ème exploitation par une société
d’Auxerre

Le relais s’est fait
quelques années plus tard avec une technique plus moderne en sacs
plastiques remplis de paille de blé broyée bien humidifiée
jusqu’au stade de décomposition et mélangée avec de la poussière
de craie.

La culture des champignons est effectuée à une température de 16 degrés, sans lumière, avec une humidité saturée et une très bonne aération. Des bacs de 1000 l alimentés par des canalisations permettaient d’arroser les champignons. Bacs à eau - L’exploitation s’est arrêtée vers 1988. Depuis, la champignonnière est à l’abandon.


LA CRAIE DANS L’ARCHITECTURE

Technique de construction
Au XIX° siècle, la craie est le matériau le plus utilisé, car il est le moins cher et immédiatement disponible. On y ajoutait souvent d’autres matériaux trouvés sur place (silex, briques et grès).

Les fondations des maisons étaient remplies de maçonneries de grès, briques et silex jusqu’à 20 cm ou plus au-dessus du niveau du sol pour éviter les remontées d’humidité. Les moellons de craie étaient posés alternativement carreaux et boutisses par assises égales formant toute l’épaisseur du mur et scellés avec de la terre grasse et du mortier de chaux et de sable ou de sablon. Le plus souvent, les façades étaient couvertes d’un enduit de sable et de chaux qui occultait le matériau.  boutisse carreaux  si silex et mortier  silex et
En revanche, les murs des granges, des jardins, des cimetières et des caves n’étaient pas enduits. Ils témoignent encore du fait que la craie, lorsqu’elle est de belle qualité, ce qui était le cas à Michery, peut très bien résister au temps. Lorsqu’elle est exposée à l’air libre, une couche de calcin » imperméable se forme et la protège de la pluie et du gel.  Les maisons et bâtiments publics
De très nombreuses maisons et un grand nombre de bâtiments à Michery ont été bâtis en moellons de craie.

A l’intérieur de l’église bâtie en 1193, on trouve des éléments en craie : les voûtes sexpartites en forme de tranches d’orange de la grande nef, ce qui indique que l’exploitation de la carrière de craie existait déjà à cette époque.

Le 1er presbytère a été construit entre 1392 et 1394, suite à la cession d’un terrain à Odin Renart par les religieux de Saint-Paul-les-Sens à condition d’y construire une maison. En 1762, l’architecte François Gayet établit un devis estimatif concernant sa démolition en partie et sa reconstruction, lequel donne une preuve irréfutable de l’exploitation des carrières de craie au XIV° siècle.  Sous l’action de l’atmosphère, la craie durcit assez pour qu’on ait pu l’utiliser comme matériau de construction depuis l’Antiquité. La craie de Michery en particulier a été très estimée par le passé. La plus ancienne maison, « la maison de la grange aux dîmes », au n° 15 de la rue de la Croix, a été construite vraisemblablement en 1335, date gravée dans l’encadrement en craie d’une porte de la façade Est. L’abbaye de Sainte-Colombe y stockait ses dîmes de céréales et de vin. La grange elle-même a dû être démolie pour cause de vétusté après 1951. Seule subsiste la maison d’habitation. Une autre maison a été construite en 1522 et la grange un siècle plus tard en 1602.  Les maçons ont laissé leurs traces.


LES OUTILS DES CARRIERS
La craie est une roche tendre qui ne nécessite pas un outillage très spécifique pour être extraite du sous-sol. Ils utilisaient des pics, des barres, des aiguilles, des coins, différentes scies dites « croco de carriers », à une main ou à deux mains, des burins courbes, des « chemins de fer » pour les finitions des moellons. Pic de carrier Barre Coins Scies crocodiles Burin courbe Chemin de fer.
Ils s’éclairaient avec des lampes
fonctionnant au pétrole ou à l’huile de colza au XIX° siècle,
puis au carbure, à l’acétylène ou à l’huile de cameline qui
brûlait sans fumer au début du XX° siècle.

Lampe à huile
Lampe à pétrole
Lampe à acétylène
Barre de carrier


UN LIEU DE PROMENADE
De nombreuses cartes
postales témoignent que les carrières étaient un lieu de promenade
privilégié des Michelins.

ANECDOTES
Pendant la guerre de Cent ans (1338-1453), des bandes de brigands, « les écorcheurs », se livraient à des atrocités : les habitants fuyaient et se réfugiaient dans les bois ou dans les villes. A Michery, bien qu’aucun document ne l’atteste, on peut supposer que les carrières de craie déjà entamées et exploitées ont peut-être servi de refuge.  Témoignage de Mme Germaine ROBLOT : « Après la guerre de 14-18, un rescapé de Michery, qui avait perdu un bras, le « Père Badet », dit « Badet blanc », y trouva refuge. Le devant était fermé par de grandes planches traversées par un tuyau de poêle ; c’était la pièce à vivre : la cuisine. Mais, surprise, par un court boyau, on pénétrait dans une seconde pièce un peu ronde qui constituait sa chambre, où il avait installé son lit. C’était clos, frais l’été et chaud l’hiver. Sans être comme Diogène, il aimait son trou et ne l’aurait pas quitté pour un empire. L’endroit fourmillait de lapins de garenne ; il avait donc appris à fabriquer des collets. Il tressait des paniers en osier, des nasses pour attraper les poissons. Il fabriquait aussi des balais de bouleau. Avec sa pension de mutilé de guerre, toute cette activité lui permettait de vivre sereinement.


Inscriptions
gravées pendant la Première guerre

HEROÏSME

Durant la seconde guerre
mondiale (1939-1945), les carrières servirent de « caches
d’armes ». En mai 1943, un parachutage eut lieu sur le
plateau ; dix containers furent largués, remplis de deux tonnes
d’armes légères et de munitions. Marc BIZOT et Bernard FURET
eurent la responsabilité de sa récupération et enfouirent les
containers près des carrières. Mais le groupe des
Francs-Tireurs-Partisans de Paris, dont des membres étaient
venus s’y approvisionner, fut démantelé et, durant les
interrogatoires, le dépôt d’armes de Michery fut dévoilé. Marc
BIZOT fut arrêté le 7 octobre 1943 par des policiers français aux
carrières. Interrogé et torturé, il se tut. Livré aux Allemands,
puis condamné à mort, il fut fusillé le 7 mars 1944 au mont
Valérien.



La clairière des fusillés au Mont Valérien Inscription sur la dalle  Marc Bizot
(1922-1944) Tombe de Marc Bizot à Michery

DES ARBRES REMARQUABLES
Outre ses carrières de craie, Michery possède un autre trésor environnemental : trois arbres très âgés dans les bois près du village.

Un peuplier âgé
d’environ 150 ans. Sa circonférence est de 4 m 20 pour une hauteur de 30 m. L’homme placé devant paraît tout
petit. Un chêne qui doit atteindre les 200 ans. Sa circonférence est de 4 m 30 pour une hauteur de 25 m. Un cormier qui est certes le benjamin avec ses 100 ans environ et seulement 2 m de circonférence pour 25 m de hauteur, mais qui a le mérite d’être sans doute le seul de son espèce sur le territoire de la commune. Le cormier ou sorbier domestique était cultivé autrefois pour ses fruits, les cormes, et pour son bois très dur, plus lourd que celui du chêne, qui était utilisé en ébénisterie et dont on faisait divers outils (rabots, varlopes…). C’est un arbre en voie de disparition.